des Élises et des Guillaumes
voix off de ces émissions qui se moquent des candidats qu’elles accueillent, voix hors-champ qui se permet des commentaires sur tout et tous, petite voix nauséabonde responsable des actes qu’on regrette, Belzébuth d’oreillette qu’il nous est difficile de taire.
siffleuse hautaine privée de grandeur d’âme, siffleuse sans hauteur puisque bâtie de bassesses tombant sur des lazzi et des flashs de divertissement à caractère de décérébration fourbe.
siffleuse de repentirs qui cause à brûle-pourpoint de tragédies intellectuelles, de scandales licencieux, de corruptions politiques, de désastres écologiques, toujours avec ce même ton outrecuidant faussement satirique qui sied aux polémistes de comptoir hertzien.
siffleuse qui s’indigne sans distinction de la détention de Mumia Abu-Jamal, des réformes des collèges supprimant les classes bilingues et européennes trop élitistes, d’un député ayant pour mission la lutte contre la fraude mais dissimulant ses avoirs à l’étranger, des photos intimes de stars piratées et partagées sur la toile, de la Chinafrique qui embarrasse la Françafrique avec l’exemple de Pékin-Yaoundé-Paris.
siffleuse qui se prétend scandalisée invariablement et qu’importe le sujet, siffleuse d’un même ton ironique, siffleuse de fil d’actualité, siffleuse d’un ton fa dièse, siffleuse d’un ton hashtag.
qu’on la guillotine cette siffleuse. vous autres acteurs et actrices ratés que les radios n’ont pas retenus pour animer leur chaîne et qui, cinquième roue d’une charrette, finissez par rouler en tant que speakerines fantômes pour programmes de grande écoute : arrêtez. ou alors changez votre fusil d’épaule.
parlez des lumières avec profondeur, des personnes avec humanité, décelez les joyaux de chacun entre les perles de maladresses qui traduisent une anxiété certaine due aux caméras qui braquent, colorez ce que l’habituel ternit, mettez à l’aise ces quidams qui souvent viennent vous livrer une part d’eux-mêmes pour enrichir les producteurs qui vous salarient, mettez-les à l’aise eux qui sont vos employeurs officieux, mentionnez les noblesses des Hommes pour offrir aux images animées dont vous êtes la bande originale, une voix de beautés.
s’il vous faut des invités notables, choisissez Élise, femme d’éclat à l’humilité apparente, brin de brune qui se bat sourire-bouclier contre les attaques coups de massues des clichés véhiculés par les grands médias, ethnologue-chercheuse qui travaille à attraper les mondes pour les confronter, directrice d’un muséum d’histoire naturelle qu’elle dépoussière de la vision d’ennui qu’on s’en fait, chef qui se commande d’écouter ses goûts plutôt que ses élus, délinquante vandalisant l’idée de distinction sociale au sein de l’institution qu’elle chapeaute, épouse sachant du mot amour qu’il relève d’une notion de soutien inconditionnel, mère qui partage ses expériences cognitives et affectives sans les imposer, professeure qui n’inculque rien, maître qui instruit.
ce que vous aurez à commenter d’une telle femme vous élèvera, éveillera le spectateur, repositionnera la télé sur l’initial, l’enseignement. un enseignement qui peut exister dans le ludisme en musique, en littérature. prenez les écoles qui viennent dans une galerie pour entendre des rappeurs chanter, prenez les écoles de danse qui viennent dans des bibliothèques pour mettre le verbe en mouvement, prenez les écoles de parole qui n’en sont pas vraiment, qui sont plutôt une charpente poétique où chacun peut développer sa propre langue, prenez toutes ces écoles et faites-les se rencontrer dans le cadre d’un documentaire, vous verrez que dans l’élan, vous perdrez votre ton fa dièse.
si Élise ne vous suffit pas, ajoutez-lui Guillaume, gentleman de toutes les finesses, banlieusard à barbe effrontée et à jean trop délavé pour l’élitisme parisien, médiateur culturel involontaire et inspiré se proposant d’offrir aux usagers des maisons de quartiers, une éducation intellectuelle de beaux quartiers, directeur d’un édifice de pratique artistique amateur dans lequel il convie des professionnels courus à mettre leur savoir en scène, aussi bien en ateliers que dans la rue, patron qui s’impose de monter au créneau contre des instances politiques ne cessant de lui rappeler les découpes budgétaires, ne cessant de le traiter comme un levier de licenciements, passionné mélangeant les curieux du dimanche avec les puristes, romantique brisé par une femme d’excès, homme reconstruit par une femme d’exception, père déjà même sans rejeton.
ce que vous aurez à commenter d’un tel gonze vous réconciliera avec les espoirs que l’information de masse corrode, vous ramènera à ces combattants médiatiquement invisibles, concernés par les sinistres d’une société spectaculairement basée sur l’économie, vous déposera sur la fonction première de la télé, la transmission. une transmission qui peut naître dans le jeu de l’écriture, dans le jeu de la mélodie, dans le jeu des répétitions, dans le jeu d’une représentation publique.
imaginez un peintre s’entretenir quotidiennement avec des néophytes, à votre avis créera-t-il des vocations ? cette question peut-elle être l’objet d’un débat de société dans lequel vous seriez une voix off utile, une voix off qui ne se moque pas, une voix off qui accompagne ?
je souhaiterais des Élises et des Guillaumes en voix narratrice d’émissions télévisées, ce serait drôle et évocateur, didactique et léger, distractif et salvateur.
leur rendre hommage est sans doute ma manière d’aller vers cette perspective. Des Élises et des Guillaumes pour assurer la bande son de nos écrans, ça changerait.
merci Élise, merci Guillaume pour être ce que vous êtes.
Edgar Sekloka, février-avril 2015