Paris sous la neige fin janvier 2013

les passants marchent

 

les passants marchent, le bruit des foulées est peu épais au pire le son de cimiers tombés de leur sapin dans le fondant d’une poudreuse frisquette où les enfants en marmottes, trouvent logis et refuge s’amusant même par magie à glisser sans la luge.

les passants marchent, parfois certains s’arrêtent pour faire des boules basketteuses qu’ils jeu jettent et smashent sur des amis ou des inconnus.

les passantes âgées marchent, les rides cernés des poils polis d’une fausse fourrure en parure autour du cou, les passants seniors marchent et sous leur barbe thermos de retraités hibernant sans vieillardes, ils ont le gant laineux qui agrippe une canne essoufflée.

les passants marchent avec leurs bottes dans la moiteur beige lactescente, ils défient le Vostok gelant leurs gros orteils à bleuir leurs ongles d’un sang qui émerge. pas de pelleteuses pas de dameuses, les voitures dérapent les roues embourbées dans une chaussée patinoire de chantilly sombre, les déchets humains qui séjournent sur le pavé courbé se mélangeant aux nuages qui s’écument jusqu’à s’effriter en flocons.

les passants marchent sur une traîne de mariée enveloppant un sol habitué à être sali de détritus. mais des rues de janvier, les passants retiennent le tapis opalin reflet petit amant d’une lune qui enfile au crépuscule sa couleur ivoire, tapis immaculé, tapis de froidures qui circulent.

les passants marchent dans un champ de vignes célestes descendues couvrir et voûter les combles de la faune urbaine. l’hiver sème tellement d’albes raisins qu’il en incline les toits citadins. légèrement.

les passants marchent au milieu d’un Sahara antarctique, les rhumatismes se réveillent ou se révèlent, le panorama est une moquette de moelleux nivéen, le manque de chaleur pèle les lèvres.

les passants marchent le rythme d’une sonate alpine au clair d’asphalte, la musique montagneuse sort de ses gonds et des bouches engourdies qui tant bien que mal, soufflent des discussions de comptoir givrées devant les rades. les narines morveuses reniflent avec envie l’odeur des bars qui réchauffent, là où les degrés sont bus près des fondues, là où l’alcoolémie s’échafaude dans le zen, le détendu, là où les cœurs retrouvent leur feu disparu.

d’autres passants marchent Dans l’interminable ennui des plaines, ils sont les passants de la plèbe, des cités, éphèbes de l’exclusion qui meurent glacés dans le poème de Verlaine pendant les fêtes, SDF et consorts, sans-abris et confrères qui clopinent avec Nick Flynn en insultant de crack polystyrène, les cristaux de frimas cendreux qui pleuvent.

les passants, ils aimeraient bien skier mais leurs moyens ne leur permettent que l’engouement de la marche à pied. alors ils marchent, ils font le pas à pas d’une danse ballet emmitouflée dans leur bonnet et doudoune trois-quarts. mais le Lac des cygnes est remplacé par une flaque verglacée que becquettent des pigeons colombins et si les passants font du pas à pas comme le bébé qui titube à devenir bipède, c’est qu’ils ont peur de la chute sur un bitume salé.

les passants marchent, leurs empreintes comme témoignages de leur passage, ils marchent et se distraient des messages incongrus ou des dessins salaces inscrits dans la neige qui orne les vitrines.

les passants marchent dans un décor platine où les immeubles amiantés ont des airs d’igloos ‒ c’est beau, c’est immonde ‒ ils marchent en attendant que le printemps surgisse.

 

 

Edgar Sekloka, novembre 2013