si les cellules s’éteignent
je n’ai pas vraiment peur de toi, j’ai toujours vécu sous cellules alors si elles s’éteignent, je trouverai une forme d’envolée libertaire, la douleur sera emmurée dans mon historique ‒ navigation privée de mes nostalgies ‒, tous battements de souffrance seront envasés de paraplégies/
si elles s’éteignent les cellules, je serai le cœur du cœur, l’essence du kiff avant que mon corps soit l’amuse-bec de vautours aux aguets ; les parents inconnus, les collègues hypocrites, les anciens amours calculant l’héritage en pitance pour s’inventer des condoléances/
si elles s’éteignent, j’aurai peine à croire aux rayons autres que solaires pour raviver ma libido, alors j’irai chercher des éclairs d’été dans l’excitation de mes fantasmes sexuels inassouvis/ si elles s’éteignent, je tenterai de profiter des bonheurs infimes les plus répandus ‒ un dîner en famille ‒ comme des merveilles avérées réservées aux privilégiés ‒ le site de Pétra/
si elles s’éteignent les cellules, dévastant mes os, mes seins, ma prostate, ma gorge, je voudrais m’alimenter de drogues héroïnes, voudrais m’infuser des effervescences orgastiques sans m’overdoser ‒ je n’ai pas aimé la fin des Invasions barbares/ si elles s’éteignent par tes soins, je rappellerai aux adeptes de soirées critiques à s’évanouir de cirrhose ou de pneumonie légères pour des matinées pâlottes au visage terne maladif, qu’il faut mesurer l’abus pour s’en délecter sinon c’est une déchéance pure et dure qui se conclut très souvent par un début de relation avec toi/ si les cellules s’éteignent parce que l’âge vieillit, je ne m’opposerai aux relents de dégénérescence sur ma langue, je les mélangerai à ma salive et j’avalerai ma mort à la source avec l’arrogance hédoniste des égorgeurs de spleen/ quand les cellules s’éteignent dès l’enfance, elles n’arrivent pas à gangréner l’enchantement, cette fraîcheur due à l’innocence, parfois elles n’y parviennent tellement pas qu’elles rebroussent chemin, s’inversent, se rallument et décuplent l’existence. parfois. parfois faut redevenir môme/
si elles s’éteignent, je n’imposerai pas à mes habitudes la vermine dépressive des 36 pilules matin midi soir d’un remède tout neuf déjà inefficace/ si elles s’éteignent, je ne déglutinerai pas mon faciès du capillaire, pourquoi ? pas envie d’attendre une pleine lune Djelani Maâchi pour allonger mes cheveux ou mes perruques Samson/ si les cellules s’éteignent, je ne m’en tiendrai pas à la science des érudits, j’écouterai leurs médecines d’une oreille et de l’autre, je dépasserai les limites hospitalières, me déconditionnerai des brancards quand ils ressemblent à des cercueils prématurés, casserai les conventions de pitié en continuant de rire, de rire encore, de lire dans les yeux de ceux qui ont des iris romanesques, une poésie à toute épreuve desservie par un humour espiègle/
si elles s’éteignent, je provoquerai des insurrections comportementales, je secouerai mes attitudes, cracherai mes inconvenances, prononcerai mes vérités sur toi, sur lui, sur elle, sur moi/ si les cellules s’éteignent, la correction ne m’empêchera plus rien, je ne filtrerai pas mes paroles, je les accentuerai et même si elles t’insultent toi, lui, elle, moi, je ne craindrai pas que toi, lui, elle, moi, me tabassent/ si les cellules s’éteignent, je vivrai sans temps mort et jouirai sans entrave, je m’autogérai, démissionnerai de mon aliénation professionnelle pour aller vers une activité artistique propice à l’épanouir, on m’appellera Guy Debord, je renoncerai aux positions sociales épinglées enviables pour créer ma situation, je jouerai mes compositions dans tous les lieux possibles pour en tirer un salaire, un échange, une philosophie, une injure/
si les cellules s’éteignent par ta faute, ce qui m’attristera un tout petit peu au fond, c’est d’avoir attendu l’obscurité pour convoquer certaines lumières/
Edgar Sekloka, mai-décembre 2014