Une amie me certifiant qu’il n’y a plus personne de cool

le nouveau cool

 

faut s’organiser, prévoir toujours, c’est régi comme ça, appeler avant de débarquer chez les amis, ils pourraient être en train de faire l’amour ou en train d’affronter le néant, ou en train de confondre les deux, faut multiplier les dates, planifier à outrance, penser l’agir, contrôler ses occupations pour éviter l’affairement, et ce serait la maîtrise de toutes les vies qu’on mène qui permettrait d’aboutir au cool ‒ sauf si, mauvaise langue, on considère que c’est là simplement le moyen d’accroître son propre rendement, d’augmenter ce que les entreprises nomment productivité. ah le vilain mot, un terme de négrier pour sûr. mais si vous permettez, vous autres descendants de messires Jobs, Gates et consort, Colombs du nouveau monde interné dans une toile dite le net, le web, la nébuleuse, revenons au propos, revenons à dire que cool, c’est anticiper le stress et le barrer, c’est avoir une longueur d’avance, c’est être brillant, c’est avoir de la rigueur.

si dans les années 60, pour se prétendre cool, il suffisait d’en avoir l’air ‒ l’habit débraillé, le regard au loin, la répartie de Gauche ‒ aujourd’hui c’est un peu différent. les sixties sont délocalisés sur des terres où les Hommes ont moins de valeur, dans ces contrées de technologies obsolètes recyclées, dans ces pays vassaux d’un roi Occident qui ne s’inquiète de rien, qui continue de pérorer sur les prouesses de la modernité, qui se gargarise de lui-même. le citoyen cool est donc d’origine occidentalo-royale, et ses inféodés du Sud tendent à reproduire ce que son Excellence promeut par des publicités édéniques ; une famille sans ombres au tableau, l’avenir assuré, sûre d’elle, attachée aux besognes civiques du bonjour, s’il vous plait, au revoir, une famille jamais dépassée par les événements, drôle, belle et qui le montre, une famille Jay-Z, un gars qui, de libéraliser sa vie privée, en a tiré une bonne image parce que oui, cool par les temps qui courent, c’est ne pas dépendre de liquidités mais cependant en faire pleuvoir. quand tu es à la merci de l’argent, nécessiteux en instance de RSA, tu n’es pas cool, au mieux tu es un poète qui ne sécurise pas son engeance, un artiste maudit.

gestion draconienne d’un quotidien qui impose de toujours faire bonne figure, être cool requiert beaucoup d’intelligence pour affronter les jours sans, les jours dépourvus d’envie, les jours neurasthéniques. cool signifie le bon mot, la faconde subtile et cocasse. cool ou comment se montrer indépendant et conscient du monde que l’on pratique pour ne pas paraître fou lorsque les deux doigts levés, on fait signe de Love, de Peace. cool, c’est convaincre les gens qu’on pourrait prendre le maquis et faire la révolution pour cette utopie de Love, de Peace. cool c’est souvent l’interjection qu’on associe à ce truc de Love, à ce truc de Peace.

le cool c’est le cadre sans nuit de sommeil car, fin stratège, la nuit il réfléchit à comment se rendre appréciable auprès de ses collègues, c’est le directeur des ressources humaines qui s’échine à être perçu comme une personne accessible par ses équipes, certains iront peut-être jusqu’à le croire vraiment triste au moment où il les licenciera, et donc oui, cool c’est politique.

même dans une union, cool c’est politique, Héraclès et Omphale ne le savent que trop, cool c’est être en campagne pour un compagnon asservi et non pas souverain, un peu comme les peuples vis-à-vis de leurs Présidents, c’est envisager son conjoint, dévisager son profil, le repérer sur une base de critères proche de l’élection de Miss France, le contractualiser au mariage en prévoyant le divorce. cooool ! cool c’est se désolidariser du hasard.

le cool serait né en 1949 quand le jazz proposait une façon de jouer plus douce pour avoir un son plus feutré, il s’agissait alors de travailler son relâchement tout en conservant énergie et concentration. puis dans les années 90, le cool s’est émancipé du jazz se transformant en une sorte de convocation à l’esprit zen dont s’est emparée la jeunesse pour évacuer toute forme de pression parentale ou encore minimiser l’impact des échecs scolaires d’une teinte de je-m’en-foutisme insolent. aujourd’hui, le cool utilise cette insolence nonchalante avec parcimonie car ce n’est plus elle qui la définit, le cool ce n’est pas le babacool affalé sur une conception beatnik en total décalage avec le monde de la mondialisation. le cool, c’est la sprezzatura de Baldassare Castiglione, c’est travailler l’attitude détendue quitte à la feindre, c’est mettre le costume de la désinvolture dans des situations de tension mais c’est être réactif et diligent dans des moments d’inertie.

le cool, ce n’est pas celui qui reste chez lui à consumer son herbe, c’est celui qui en fume occasionnellement dans les soirées de réseaux carriéristes, le cool ce n’est pas un futur incertain et pesant, c’est une légèreté apparente et ponctuelle.

le cool a muté et de Fonzie le tombeur, est devenu Pharrell Williams l’entrepreneur.

 

Edgar Sekloka, novembre 2014